Introduction
Dans un siècle de règne de la connaissance, où les sociétés, par un recours sans précédent à la science et à la technologie dans le développement des processus économiques, culturels et sociaux, deviennent davantage cognitives, l’économie du savoir occupe une place prépondérante dans l’affirmation des pays par le biais de la compétition internationale. Face à cette situation, la prospérité des sociétés dépendrait grandement de leurs stocks de connaissances et de savoir-faire, donc de la qualité de leur système éducatif. Ce dernier point a été souligné lors de la Conférence Mondiale pour l’Enseignement Supérieur de 1998. Aujourd’hui encore, une attention sans cesse renouvelée est portée à l’éducation par les décideurs publics. Cette attention se traduit principalement par la dotation de ressources financières et matérielles de plus en plus importantes à ce secteur pour le financement des politiques éducatives. Ces dernières illustrent donc la volonté et l’engagement des pouvoirs publics et leurs partenaires à relever des défis plus modernes afin de renforcer la qualité de l’éducation nationale. Le Sénégal, malgré un système éducatif qui tarde à se hisser aux standards des systèmes éducatifs mondiaux, s’est aussi engagé à relever les défis qui interpellent son éducation nationale. En attestent les programmes et plans lancés dans le secteur éducatif. Le Programme d’Amélioration de la Qualité, de l’Equité et de la Transparence (PAQUET) devenu PAQUET-EF (pour l’Education et la Formation), couvrant respectivement les périodes 2013-2025 et 2018-2030, est le programme sectoriel phare du secteur de l’éducation devant répondre au quatrième objectif de développement durable (ODD4 : Accès à tous à une éducation de qualité). Il vise à répondre à trois objectifs spécifiques : relever radicalement et à tous les niveaux les performances en matière de résultat d’apprentissage ; impulser à tous les niveaux la couverture, la diversification et l’intégration du système d’éducation et de formation ; implanter une gouvernance sectorielle transparente et efficace orientée vers les résultats. Il y a aussi le Programme Décennal de l’Education et de la Formation (PDEF), aujourd’hui appelé Programme de Développement de l’Education et la Formation (PDEF), dont la préparation a débuté en 1996. Il s’est voulu être le cadre d’opérationnalisation de la Déclaration Mondiale sur l’Education dont l’objectif s’est décliné en trois axes : démocratiser l’accès à l’éducation de base, améliorer la qualité des apprentissages, rendre plus efficiente la gestion du système. On peut en outre citer le programme « Education Pour Tous » (EPT) (dont les deux forums de 2000 et de 2015 se sont tenus à Dakar) proposé par l’UNESCO aux pays africains que le Sénégal a adopté pour répondre aux défis de l’éducation et la protection de la petite enfance, de l’éducation primaire universelle et de la formation des jeunes et adultes. Ces programmes parmi tant d’autres ont pour objectif de renforcer la qualité de l’éducation. Les incidences de celles-ci sur la société peuvent être vues à travers sa contribution sur l’économie nationale. Pour saisir cet impact, différents indicateurs économiques et éducatifs provenant des sources publiques nationales pourront être analysés. Il peut être intéressent, pour le cas du Sénégal, d’étudier la relation qui existe entre taux de scolarisation et croissance économique.
Etat des lieux de la scolarisation au Sénégal
Selon l’institut national de statistiques et des études économiques (INSEE), le taux de scolarisation est le rapport entre le nombre d’élèves, d’étudiants et d’apprentis en formation initiale d’un âge déterminé inscrits dans un établissement d’enseignement et le nombre de jeunes de cet âge. C’est un indicateur clé pour mesurer le niveau d’accès à l’éducation pour une population donnée. Au Sénégal, une observation de l’évolution du taux de scolarisation montre que celui-ci a connu des améliorations. Le graphique suivant, construit à partir des données de l’ANSD, qui illustre l’évolution des taux bruts de scolarisation aux niveaux préscolaire, élémentaire, moyen et secondaire de 1978 à 2018 permet de le constater.

Les données utilisées ici ne permettent pas d’observer la situation de l’éducation aux niveaux secondaire, élémentaire et préscolaire de 1978 à 1989 (à 2006 pour le niveau préscolaire). Néanmoins, il apparaît clairement que la scolarisation élémentaire est plus avancée au Sénégal, atteignant un taux plus élevé de 95, 8% en 2010 pour chuter à 84,8% en 2014 et repartir avec 86% en 2017. Elle est suivie par la scolarisation au niveau moyen, qui, elle aussi, atteint son taux le plus élevé de 58,3% en 2014 et celle secondaire qui atteint sa valeur plus élevée de 33,8% en 2018. Ces améliorations de l’éducation aux niveaux élémentaire, moyen et secondaire pourraient être expliquées par les effets immédiats des programmes comme le PAQUET et PAQUET-EF respectivement lancés en 2013 et 2018. L’évolution du taux de scolarisation au niveau préscolaire est plus faible (17,8% en 2018). Ce constat peut être imputé à la préférence portée à l’enseignement traditionnel coranique. En effet, au Sénégal, beaucoup de parents préfèrent envoyer leurs enfants à l’école coranique dès le bas-âge plutôt que de les inscrire dans un établissement d’enseignement préscolaire. Puisque plus de 95% des citoyens sénégalais sont des musulmans, ce choix a naturellement des répercussions considérables sur l’évolution de l’enseignement préscolaire. Néanmoins, son évolution moins nette que celle des autres niveaux n’empêche pas de dire qu’elle connaît des améliorations louables. En définitive, il convient de retenir, d’après l’analyse de ces données, que la scolarisation est dans une bonne posture au Sénégal. Reste à voir son impact sur la croissance économique.
L’évolution du PIB : la croissance économique
La croissance économique renvoie concrètement à l’augmentation des richesses d’une année à l’autre d’un pays donné. Elle est calculée sur la base du produit intérieur brut (PIB). Pour analyser l’évolution de la croissance économique du Sénégal, nous nous appuyons simplement sur celle du PIB. Celle-ci est illustrée par le graphique suivant construit à partir des données du PIB en milliards de FCFA courants de 1999 à 2021 fournies par l’ANSD.

Le graphique montre globalement une évolution exponentielle du PIB, donc de la croissance économique, sur la période 1999-2021.
Les données utilisées confirment une évolution du taux de scolarisation et celle de la croissance économique. Il s’agit de voir à présent comment la première influence la seconde. Pour ce faire, les méthodes d’analyse de corrélation et de régression linéaire, outils statistiques permettant d’étudier la nature de la relation probable entre deux ou plusieurs variables, seront utilisées sur les mêmes données. Mais puisque celles-ci n’ont pas la même longueur, la contribution probable du taux de scolarisation sur la croissance économique du Sénégal sera étudiée sur la période 1999-2018 où toutes les données sont disponibles.
Les graphiques suivants montrent la corrélation qui existe entre le PIB et les différents taux de scolarisation au Sénégal.
Graphique 1 : Corrélation entre PIB et Taux de scolarisation élémentaire

Graphique 2 : Corrélation entre PIB et Taux de scolarisation secondaire

Graphique 3 : Corrélation entre PIB et Taux de scolarisation moyen
Les trois graphiques montrent que le PIB et les taux de scolarisation élémentaire, moyen et secondaire suivent une tendance que l’on peut qualifier de linéaire sur la période 1999-2018. Ce qui signifie l’existence d’un rapport positif entre PIB et taux de scolarisation. De plus, les coefficients de corrélation calculés avec le logiciel R sont respectivement de 0,97 entre le PIB et le taux de scolarisation secondaire, de 0,88 entre le PIB et le taux de scolarisation moyen et de 0,69 entre le PIB et le taux de scolarisation élémentaire. Cela signifie concrètement qu’une part de l’augmentation du PIB, c’est-à-dire de la croissance économique, du Sénégal sur la période de 1999-2018 est à 97% expliqué par la scolarisation secondaire, à 88% par la scolarisation moyenne et à 69% par la scolarisation élémentaire. Ce qui explique la quasi-linéarité des points observés dans les graphiques précédents. La relation positive entre la croissance économique et la scolarisation étant vérifiée au Sénégal sur la période de 1999-2018, estimons maintenant la contribution de la scolarisation.
Il est établi par la recherche que les pays ayant des niveaux d’alphabétisation et de participation à l’éducation primaire et secondaire présentent généralement une croissance économique plus soutenue sur le long terme. Dans cette même logique d’estimer la contribution de l’éducation dans l’économie du Sénégal, vérifions ce fait stylisé en expliquant simultanément la croissance économique en fonction des taux de scolarisation élémentaire et secondaire sur la même période. Un modèle linéaire à travers lequel le PIB est à expliquer en fonction des taux de scolarisation élémentaire et secondaire a été construit. Les résultats ont montré une significativité partielle et globale du modèle. Ce qui confirme l’explication de la croissance économique en fonction de la scolarisation sur la période considérée. Le coefficient de corrélation est égal à 0,9679. Ce qui signifie que les taux de scolarisation élémentaire et secondaire expliquent à 96,79% une part de la croissance économique du Sénégal. Cette part est quantifiée par les coefficients de régression. Ceux-ci sont de 238,78 pour le taux de scolarisation et de 45,23 pour la scolarisation élémentaire. Cela veut simplement dire que sur la période allant de 1999 à 2018, des augmentations d’un point des taux de scolarisation élémentaire et secondaire ont conduit à des hausses respectives de 238,78 milliards de FCFA et de 45,23 milliards de FCFA du PIB du Sénégal. Comparant ces deux valeurs, on pourrait s’attendre à ce que la contribution de l’éducation dans l’économie par le biais de la croissance économique puisse augmenter avec le niveau d’éducation. Des données supplémentaires sur l’évolution du taux de scolarisation supérieur nous aurait permis de vérifier une telle hypothèse.
Il pourrait être plus intéressent, si les données étaient disponibles, de pousser l’analyse de la contribution de l’éducation dans l’économie du Sénégal en étudiant le rapport entre les dépenses d’éducation qui augmentent (voir le graphique ci-après) et la productivité nationale ou encore la relation qui existe entre les dépenses publiques éducatives et la réduction du chômage. Mais puisque, selon les économistes, la productivité et la réduction du chômage se soldent par une création des richesses soutenue, donc d’une croissance économique en hausse, l’étude effectuée sur le rapport entre la scolarisation et la croissance économique permet de saisir la manière dont l’éducation a contribué dans l’économie du Sénégal sur la période 1999-2018. De plus, cela n’est que le rendement privé de l’éducation et il est théoriquement prouvé que le rendement social de l’éducation est plus élevé que celui privé.

L’analyse des données recueillies a permis de confirmer l’importance de la scolarisation dans la création des richesses, donc le rôle essentiel que joue l’éducation dans le développement économique. Les décideurs publics en matière d’éducation devront augmenter les efforts pour améliorer le niveau de scolarisation et prioriser l’investissement en éducation pour l’avenir économique du Sénégal.
Sources
ANSD pour les données et Ministère de l’Education Nationale, UNESCO et Global Partnership for Education (GPE) pour les informations sur les programmes éducatifs.