Ce qu’il faut retenir sur l’Agenda national de transformation de l’enseignement supérieur de l’innovation et de la recherche – ANTESRI (Par Amadou Mamadou Barro)

Le système universitaire sénégalais, longtemps considéré comme un levier essentiel de développement et de promotion sociale, traverse aujourd’hui de nombreuses difficultés qui freinent son plein épanouissement. Malgré les efforts consentis par l’Etat pour démocratiser l’accès à l’enseignement supérieur, les universités sénégalaises sont confrontées à une série de défis structurels et organisationnels. Le surpeuplement des amphithéâtres, les infrastructures vieillissantes, le manque d’équipements pédagogiques, les retards chroniques dans le paiement des bourses et l’inadéquation croissante entre les formations dispensées et les besoins du marché de l’emploi créent un climat d’instabilité permanent. Ces dysfonctionnements engendrent des grèves répétitives, dégradent la qualité des enseignements et hypothèquent l’avenir de milliers de jeunes étudiants. Cette situation compromet non seulement la performance académique mais freine aussi l’ambition du Sénégal de devenir une économie émergente à l’horizon 2050. Face à cette situation préoccupante, il devient urgent de poser un diagnostic lucide pour identifier les causes profondes et proposer des solutions concrètes et durables.

L’effort financier de l’Etat envers les étudiants

L’État du Sénégal, conscient des défis de l’enseignement supérieur, consacre un budget significatif pour soutenir les étudiants. Le Ministre de l’Enseignement Supérieur de la Recherche et de l’Innovation a révélé, dans son face à face avec la presse, que chaque étudiant bénéficie en moyenne d’un investissement annuel de 1 178 742 FCFA, dont 542 702 FCFA pour le volet pédagogique et 636 040 FCFA pour le volet social.

Cette répartition soulève un débat de fond. Malgré l’importance du volet social pour la stabilité des étudiants (logement, restauration, transport), un déséquilibre est constaté au détriment des moyens pédagogiques et scientifiques. L’investissement dans les bibliothèques, les laboratoires, les équipements numériques, et les ressources pédagogiques reste insuffisant. Cela interroge la finalité réelle des universités : doivent-elles prioritairement assurer le bien-être social ou viser l’excellence académique ? Un rééquilibrage stratégique s’impose pour recentrer l’université sur son rôle premier : la production de savoirs et la formation de ressources humaines qualifiées.

Les chiffres clés du système universitaire sénégalais

Les données statistiques sur l’enseignement supérieur sénégalais révèlent l’ampleur du défi :

  • 236 000 étudiants inscrits dans 8 universités publiques, 6 Instituts Supérieurs d’Enseignement Professionnel (ISEP), et 2 écoles polytechniques ;
  • 50 169 étudiants dans les établissements privés ;
  • 2 595 enseignants-chercheurs pour couvrir un large éventail de disciplines, un ratio largement insuffisant au regard de la demande croissante ;
  • 73 facultés et 223 départements académiques répartis entre UFR et facultés ;
  • 62 filières professionnelles censées répondre aux besoins du marché du travail ;
  • 298 universités privées souvent critiquées pour leur manque de qualité ;
  • Seulement 6 bibliothèques publiques offrant 4 804 places, ce qui reste marginal pour l’ensemble de la population estudiantine ;
  • 15 écoles doctorales pour la formation à la recherche scientifique ;
  • 7 CROUS et COUD pour la gestion sociale des étudiants, mais avec des infrastructures largement sous-dimensionnées : 26 567 lits et 19 477 places de restauration seulement pour des centaines de milliers d’étudiants ;
  • Chaque année, 30 millions de repas sont servis à un coût global de 45 milliards FCFA, dont 40,5 milliards financés par l’État et 4,5 milliards par les étudiants eux-mêmes.

Ces chiffres démontrent une situation de sous-capacité chronique : manque de personnels, manque d’infrastructures, et faiblesse des capacités d’accueil qui constituent un frein majeur à la qualité de l’enseignement.

Un budget ministériel insuffisant face aux ambitions nationales

Avec un budget de 308 milliards FCFA, le ministère peine à couvrir les besoins colossaux du secteur universitaire. Ce budget, bien qu’en constante augmentation, reste insuffisant face à l’explosion démographique des étudiants, la modernisation nécessaire des infrastructures, et le financement de programmes de recherche de qualité.

La situation impose une réforme de gouvernance financière, axée sur l’efficience budgétaire, la lutte contre le gaspillage, et une meilleure priorisation des dépenses. Il est indispensable d’aller vers une économie de l’enseignement supérieur, capable de concilier rationalisation des dépenses et efficacité des investissements, pour bâtir un système plus performant et compétitif.

Le numérique, un levier stratégique pour transformer l’université

Le numérique représente aujourd’hui un accélérateur de croissance et un outil d’inclusion dans les systèmes éducatifs modernes. Dans les pays développés, il transforme l’accès au savoir, dynamise les méthodes pédagogiques et favorise l’émergence de pôles d’excellence scientifique.

Conscient de cet enjeu, le MESRI ambitionne de positionner le Sénégal comme un hub numérique de la recherche scientifique en Afrique francophone, avec comme locomotive l’Université Numérique Cheikh Hamidou Kane (UNCHK), première université numérique dans cet espace. Le numérique est appelé à jouer un rôle clé dans :

  • la réduction des inégalités d’accès au savoir,
  • l’amélioration de la qualité des cours via le e-learning,
  • la massification de l’enseignement supérieur sans détérioration de la qualité.

Cependant, pour que cette ambition réussisse, il est impératif de renforcer les infrastructures numériques, former les enseignants aux outils technologiques et offrir un accès large et stable à la connectivité.

La faiblesse inquiétante de la formation en ingénierie

L’ingénierie est aujourd’hui le cœur du développement industriel et technologique des nations émergentes. Le Maroc et la Tunisie, à titre d’exemple, forment entre 9 000 et 10 000 ingénieurs par an. A contrario, le Sénégal peine à former plus de 800 ingénieurs chaque année.

Cette carence chronique handicape lourdement le pays dans sa capacité à :

  1. alimenter les industries naissantes en ressources humaines qualifiées,
  2. développer une économie industrielle compétitive,
  3. attirer des investissements étrangers orientés vers des activités à forte valeur ajoutée.

De surcroît, une grande partie des rares ingénieurs formés est souvent recrutée par le secteur privé ou part à l’étranger, contribuant ainsi à la fuite des cerveaux.

Les difficultés des Grandes Ecoles Préparatoires sénégalaises

Malgré la mise en place récente des Grandes Écoles Préparatoires, plusieurs constats préoccupants sont dressés : manque de rigueur académique, faibles moyens pédagogiques, encadrement insuffisant. Cette situation oblige l’État à transférer chaque année des cohortes d’étudiants à l’étranger (France, Maroc), qui finissent souvent par intégrer les circuits professionnels de ces pays hôtes.

Ce phénomène crée une perte nette pour l’économie sénégalaise : des ressources publiques importantes sont investies sans retour sur investissement pour la nation.

Face à ce constat, le MESRI prévoit une réforme structurelle pour :

  • améliorer la qualité de la formation préparatoire,
  • retenir les talents localement,
  • assurer un débouché professionnel aux diplômés sénégalais dans le tissu économique national.

Un programme ambitieux de réformes globales

Pour répondre à l’ensemble de ces défis, le MESRI a mis en place huit commissions thématiques qui planchent sur les réformes profondes du système universitaire. Ces réformes portent sur :

  • la réforme des œuvres universitaires (logement, restauration, bourses) ;
  • la modernisation pédagogique et le renforcement de la qualité des enseignements,
  • l’intégration du numérique ;
  • l’inclusion sociale à travers l’intégration des personnes handicapées dans l’administration universitaire et la promotion des femmes dans les structures administratives et sociales ;
  • la promotion d’une politique économique efficace de l’enseignement supérieur, pour garantir à terme un système plus résilient et productif au service du développement national.

Par Amadou Mamadou BARRO, Doctorant en économie appliquée au Laboratoire de Recherche en Economie de Saint-Louis (LARES)

4 réflexions sur “Ce qu’il faut retenir sur l’Agenda national de transformation de l’enseignement supérieur de l’innovation et de la recherche – ANTESRI (Par Amadou Mamadou Barro)”

  1. Très intéressant, et ce qui a attiré mon attention c’est surtout le volet numérique. Dans un monde technologique, la majeure partie des étudiants sénégalais ne sont initiés à fin d’intégrer l’univers numérique.

  2. Excellent : mais malgré toutes leurs sacrifices qu’ils font, nous suivons toujours un système vieillissant qui doit être réformé, non pas par des discours charmants et attirants , mais par des actes concrets, pratiques. Ainsi veuillons a une réduction du nombre de chômeurs que forme nos universités .

    1. Merci pour l’intérêt. Justement, c’est pour réformer un système vieillissant que des concertations sont prévues pour proposer des solutions devant permettre de redynamiser et rendre performant et compétitif l’enseignement supérieur sénégalais. Vivement que des solutions pertinentes et efficaces en ressortent !

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